Jean-Yves Stoquer : Explorer les catacombes avec un ingénieur


Les catacombes suscitent la curiosité de nombreuses personnes, que ce soit les français qui s’intéressent à leur patrimoine ou les touristes étrangers venus découvrir cette curiosité si particulière, que ce soit des historiens cherchant à comprendre les événements qui ont traversé ces lieux ou les ingénieurs et architectes qui veulent analyser cette construction étonnante, qui serpente sous plusieurs quartiers parisiens et entrave parfois la bonne marche de leurs œuvres. Mais derrière les mythes et légendes qui englobent ce lieu, qu’est-ce que la réalité peut en dire ? Jean-Yves Stoquer, passionné d’histoire et ingénieur, nous donne plus de détails sur ce lieu.

Le point de vue d’un ingénieur

Ce qui est intéressant avec Jean-Yves Stoquer, c’est le regard bien particulier qu’il est capable de poser sur les catacombes. L’homme est ingénieur dans le bâtiment, et c’est plus précisément un spécialiste des fondations spéciales : y a-t-il, à Paris, des fondations plus spéciales que les catacombes ? C’est aussi, en plus de ses nombreuses passions, un grand amateur de l’Histoire de France : il pose donc une vision double sur ces lieux, en observant autant l’importance historique que les particularités de construction. Ainsi, il connaît bien l’étendue des catacombes et sait quelles parties sont accessibles au public, ayant besoin de ces informations à la fois pour son métier et pour sa curiosité personnelle. Et cette étendue est impressionnante : la surface occupée par les parties visibles où sont entreposées les ossements, donc celles qui intéressent le plus le grand public, correspond tout de même à un peu plus de 2 hectares. On reconnaît ces zones aisément, avec leur présentation de style « macabre », un terme qui a commencé à apparaître au XIVème siècle avec la Grande Peste qui a causé des ravages, obligé la construction d’immenses charniers où entreposer les cadavres et a vu l’apparition de « danses macabres », supposées éloigner la maladie. Après tout, l’histoire des catacombes de Paris est une histoire de mort de masse.

Mais le spécialiste des fondations spéciales est ici plus intrigué par les structures très intéressantes qui ont servi de domaine à ces morts pendant des siècles. Il décrit ainsi combien le parcours est sinueux, pour permettre de contourner ce que l’on veut éviter et pour réduire les diverticules, ces couleurs qui séparent les salles entre elles. Enfin, des grilles ont été placées pour interdire les visites intempestives. On en a notamment situé à partir des galeries de service des carrières non comblées, ces dernières étant conservées en l’état pour pouvoir être inspectées, et aussi pour que l’on puisse apprécier leur évolution. Un choix louable mais qui a conduit à une plus grande accessibilité des catacombes par les visiteurs importuns, d’où la nécessité d’installer des grilles. À ce sujet, il convient de noter que l’accès, la visite et, à plus forte raison, le séjour dans les salles et galeries vides des anciennes carrières souterraines est interdit au public, et ce par arrêté municipal. L’explication principale est évidente : il s’agit d’une question de sécurité. Ces lieux ont toujours été dangereux et sont loin d’être tous sécurisés, sans risque d’effondrement ou autre : il existe des zones qui ont été aménagées dans ce but, pour permettre la visite du public sans risque. Néanmoins, il peut également s’agir d’un motif juridique, certaines galeries pouvant être des propriétés privées. Cela peut étonner, mais il s’agit d’une spécificité du droit français : on considère que le propriétaire d’une surface possède l’intégralité de ses tréfonds, de toute la zone qui se trouve donc en-dessous. Une exception cependant : les minéraux dit « stratégiques », tels que l’or, l’argent, le fer, le pétrole ou encore le charbon. Ils sont tous listés dans le Code Minier, et correspondent justement aux exploitations conduites sous le terme de « mines », qui fait de l’État le propriétaire de ces dernières. Ainsi, une galerie souterraine sous votre domicile peut vous appartenir ou non selon qu’il s’y trouve une ressource intéressante…

Les travaux d’entretien nécessaires pour les catacombes

La spécialité de notre ingénieur, le secteur sur lequel il a bâti sa compétence, c’est celui des fondations spéciales. Il est donc légitime de l’interroger sur l’entretien que nécessitent les catacombes, s’il y a un besoin de travaux de géologie ou de fondations spéciales. Il répond avec précision : pour lui, il est primordial de distinguer ce qui relève du contenu de l’ossuaire de ce qui relève du contenant, c’est-à-dire la carrière. C’est une fois cette distinction effectuée que l’on peut décider de la meilleure méthode à appliquer. Ainsi, si l’on a à faire à un ossuaire, l’entretien consiste principalement à effectuer un nettoyage après les visites, et à restaurer les dégradations dues aux visiteurs. Ces dernières peuvent être très diversifiées, allant des simples déchets négligemment jetés aux ossements dérobés, qui semblent vraiment fasciner certains. Il faut également maintenir l’éclairage en bon état de fonctionnement, pour des motifs toujours évidents, tout en vérifiant également l’état du groupe électrogène, qui doit pouvoir s’enclencher en cas de coupure d’électricité du secteur. Certains relèveront l’ironie d’employer ce système, en priorité utiliser dans les hôpitaux où l’on protège les vivants, dans les catacombes qui préservent les morts. Mais il s’agit de sérieuses questions logiques qui sont mises en place. Par exemple, il est important de réduire les condensations, qui naissent de la circulation des masses d’air entre le niveau des carrières et la surface, les deux n’ayant pas la même température ni le même degré d’humidité. Dans cette optique, il a été mis en place une VMC, ou Ventilation Mécanique Contrôlée, que l’on a installé au niveau des puits d’accès, en entrée comme en sortie du circuit de visite. Pour les intéressés, l’entrée est située le long du bâtiment de l’ancien Octroi, une œuvre de l’architecte Claude-Nicolas Ledoux (un détail de l’histoire que connaît bien notre interlocuteur, les ingénieurs du bâtiment ayant souvent un grand respect pour les architectes, avec qui ils sont amenés à travailler. La sortie se trouve quant à elle rue de la Tombe Issoire, à 500m de la place Denfert-Rochereau, une place qui porte précisément ce nom à cause des catacombes, « Denfert » étant l’héritage de « D’Enfer », une manière de désigner une zone où les vivants n’avaient pas le droit d’aller, au Moyen- ge.

Mais pour l’entretien de la carrière proprement dite, le travail est particulièrement technique, dans un style différent du travail à accomplir sur les ossuaires. Il y a lieu de tenir compte de l’ensemble taillé dans la roche, entre moins 20 et moins 28 mètres de profondeur, une zone géologique déjà très différente de ce que l’on peut trouver à la surface. Cependant, il faut aussi tenir compte des terrains et des recouvrements qui y ont été effectués, soit les bâtiments construits en surface et la manière dont les sols y ont été traités. Prendre en compte autant les profondeurs que la surface, voilà le défi qu’ont à relever les ingénieurs comme Jean-Yves Stoquer. Ils doivent également composer avec les puis d’accès, tels que les escaliers, les conduits de ventilations ou les passages aménagés pour des besoins de manutentions variées, qui sont autant de zones avec lesquelles il faut prendre des précautions extrêmes. Au niveau des surfaces que l’on peut voir de la carrière, comme les piliers, les murs, le ciel et le sol, il faut effectuer un examen préalable avant d’entreprendre de menus travaux d’entretien, par exemple au niveau des fissures ou des tassements du sol, deux exemples de sinistre sur lesquels le passionné d’histoire a beaucoup d’expérience, intervenant dans ces réparations depuis longtemps avec son fils, Michael Stoquer. Pour les terrains de recouvrement, il s’agit pour l’essentiel de s’assurer qu’il n’y a pas de circulations d’eaux souterraines : des dernières pourraient être causées par des fuites du réseau, ce qui aurait pour conséquence d’accélérer les phénomènes d’effondrement des terrains subjacents dans les vites ainsi constitués. C’est ce qu’on appelle la formation de « fontis », un véritable danger pour les constructions qui est pris très au sérieux dans les catacombes : on y trouve de nombreux exemples d’affaissements qui ont été stoppés, que ce soit des cloches de fontis ou des voûtes mises en place pour protéger la structure de ces cloches. C’est pour cette raison que les constructions et les terrains aménagés en surface doivent faire l’objet d’une forme de servitude de la part des constructeurs, avec notamment l’interdiction de faire des forages si l’on est en présence de l’ossuaire.

En conclusion

Les catacombes sont un sujet fascinant, qui en disent beaucoup de notre rapport à la mort, de notre rapport au sol, de notre manière de bâtir et notre conception de l’Histoire. Avoir des points de vues pluridisciplinaires est toujours une chance, car cela permet d’aborder des questions complexes sous des angles inédits. L’avis de notre passionné est donc particulièrement intéressant, car si les architectes ont souvent des connaissances historiques solides, les ingénieurs manquent parfois de ce bagage alors que leur vision pourrait être un apport de qualité pour tout le monde. La passion et l’expertise de Jean-Yves Stoquer font plaisir à voir, et il a été très aimable de nous apporter ses lumières sur ce sujet. Espérons trouver d’autres thématiques où son avis sera aussi pertinent !


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